Afghanistan - Exfiltration des avocats et magistrats en danger


Le 19/08/2021



Afghanistan : la communauté judiciaire se mobilise en France Unité Magistrats FO, le barreau de Marseille et une association veulent organiser le départ de Kaboul des femmes juges et avocates, « en grand danger », selon eux. Le 17 janvier dernier, a Kaboul, deux femmes juges de la Cour supreme afghane ont ete tuees par balle dans un attentat qui n'a pas ete revendique, mais que les autorites de l'epoque ont immediatement attribue aux talibans. Le 17 janvier dernier, à Kaboul, deux femmes juges de la Cour suprême afghane ont été tuées par balle dans un attentat qui n’a pas été revendiqué, mais que les autorités de l’époque ont immédiatement attribué aux talibans. © WAKIL KOHSAR / AFP Par Nicolas Bastuck Publié le 19/08/2021 à 17h27 « Si les talibans réussissent à occuper Kaboul, je crois que notre exécution à toutes est assurée. Nous avons besoin de l’aide extérieure pour éviter le pire. » Ainsi parlait Tayeba Parsa, l’une des 260 femmes juges d’Afghanistan, en poste à la division commerciale de la cour d’appel de Kaboul. C’était samedi dernier et ça semble être il y a une éternité. Depuis, prenant le monde entier de court, les talibans sont entrés dans la capitale afghane et ont proclamé leur victoire depuis le palais présidentiel, dans lequel se pavanent, aujourd’hui, les nouveaux maîtres du pays. Comme d’autres magistrates, Tayeba Parsa a reçu il y a quelques mois des menaces et a subi à plusieurs reprises des intimidations dans sa salle d’audience, où elle a vu défiler – et condamné – hommes d’affaires véreux et escrocs en tout genre, très souvent en lien avec les talibans. Aujourd’hui, elle vit la peur au ventre. « Nous savons que les talibans visent en premier lieu les militaires, mais aussi le milieu judiciaire. Nous avons jugé et condamné certains d’entre eux, ils veulent se venger et je suis en danger, sans compter que les femmes qui occupent une place de pouvoir dans la société deviennent des cibles naturelles », craint-elle. Cette jeune et brillante magistrate a toutes les raisons de s’inquiéter. D’abord parce qu’elle incarne tout ce qu’« ils » exècrent : une femme libre, qui défend les droits de l’homme et ceux des femmes, l’état de droit et les valeurs démocratiques. Mais aussi parce que d’autres, avant elles, l’ont payé au prix de leur vie. Le 17 janvier dernier, à Kaboul, deux femmes juges de la Cour suprême afghane ont été tuées par balle dans un attentat qui n’a pas été revendiqué, mais que les autorités de l’époque ont immédiatement attribué aux talibans. La même juridiction avait déjà été la cible, en février 2017, d’une attaque suicide visant une foule d’employés et qui avait fait au moins 20 morts et 41 blessés. Les femmes magistrates et les avocates afghanes courent un grave péril en raison des valeurs qu’elles portent au quotidien. Tayeba Parsa sera sur leur liste, elle ne sera pas la seule. Le syndicat Unité magistrats FO, le barreau de Marseille et une association d’avocats, le Cercle avocats réflexion évolution (Care), ont lancé jeudi 19 août un comité de soutien pour la défense des magistrates et avocates afghanes. Au-delà des déclarations de bonnes intentions, ces professionnels de la justice veulent aider concrètement leurs collègues et consœurs menacées à fuir au plus vite leur pays, où elles sont désormais en danger de mort. « Il n’y a pas que les journalistes, les interprètes et les civils qui ont pu aider les forces militaires étrangères. Les professionnels de la justice, qui ont œuvré ces vingt dernières années dans un contexte difficile de reconstruction des institutions du pays, au service de la protection des libertés publiques et individuelles, de l’égalité des citoyens devant la loi et d’une justice indépendante, voient aujourd’hui leur vie menacée. Les femmes, en particulier, sont particulièrement visées », alerte Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité Magistrats FO. L’amnistie générale et le « pardon » promis par les nouveaux chefs du régime ne trompent personne, en tout cas pas elle. « Ces promesses n’engagent que ceux qui les prononcent. En réalité, les femmes magistrates et les avocates afghanes courent un grave péril en raison des valeurs qu’elles portent au quotidien », s’inquiète Mme Brugère. Le comité que son syndicat vient de lancer vise à établir « dans les plus brefs délais » une liste de juges et avocates en danger, de manière à la communiquer aux autorités, mais aussi à « faciliter leur départ et leur protection » dans les meilleurs délais. « Nous voulons les aider concrètement », abonde Étienne Rosenthal, avocat à Nantes et président du Care. « Le personnel judiciaire est visé au premier chef par les purges qui s’annoncent et il faut agir sans tarder », exhorte-t-il, « heureux et fier » de voir le barreau et la magistrature « travailler main dans la main ». Diplomates, membres de la diaspora afghane, cabinets d’avocats présents sur place… « Depuis lundi, nous activons tous nos réseaux pour entrer en contact avec nos consœurs menacées. Une fois identifiées, et en liaison avec les autorités françaises, nous leur apporterons une aide concrète sur le plan juridique, administratif et humain, afin de faciliter leurs démarches pour obtenir le statut de réfugié politique et organiser le plus vite possible leur départ ». Je partage votre inquiétude sur le sort des femmes juges, ainsi que celui de nombreuses avocates. Éric Dupond-Moretti Béatrice Brugère, qui déclare agir « au nom des valeurs de fraternité et de solidarité » que porte son organisation, a saisi dès mardi le garde des Sceaux pour lui faire part de ses inquiétudes et de son initiative. « L’unique solution, pour sauver la vie de nos collègues juges d’Afghanistan, est de leur accorder l’asile politique et de les accueillir en France très rapidement. Ce geste, qui honorerait notre pays, répond à la devise de notre République », a-t-elle écrit au ministre Éric Dupond-Moretti. La réponse de la chancellerie ne s’est pas fait attendre. Le même jour, le ministre non seulement accusait réception de son courrier, mais apportait son soutien à la démarche. « Je partage votre inquiétude concernant le sort des femmes juges, ainsi que celui de nombreuses avocates », a fait valoir ainsi le ministre français ; il assure avoir alerté ses collègues du Quai d’Orsay et ses homologues européens pour pouvoir « collectivement accueillir au plus vite et dans les meilleures conditions » ces professionnelles de la justice sur lesquelles « pèse en effet un péril imminent ». Et d’inviter les membres du comité de soutien à lui transmettre les noms dont il pourrait disposer. Le message semble être arrivé jusqu’à l’Élysée puisque la conseillère Justice du président Macron a pris attache ce jeudi avec le secrétaire général d’Unité Magistrats FO ; une rencontre est prévue dans les prochains jours. Avocat au barreau de Marseille (qui compte 2 500 avocats), dont il est membre du Conseil de l’ordre et dont il préside la commission des Droits de l’homme, Me Olivier Le Mailloux entend bien mettre son expertise au service de la cause. Il s’est porté volontaire pour aller à Kaboul, sous couvert d’un passeport diplomatique, de manière à coordonner sur place les actions du comité. « Nos consœurs et collègues juges doivent obtenir au plus vite un visa et une protection pour fuir ce régime qui ne manquera pas de vouloir leur faire payer leur activité passée, au service de l’idéal de justice, plaide-t-il. Si nous pouvons sauver des vies, ne serait-ce qu’une, alors nous devons le faire absolument. » Si Unité Magistrats, le barreau de Marseille et l’association d‘avocats Care se montrent, à cette heure, les plus volontaires, d’autres organisations pourraient leur emboîter le pas. Le Conseil national des barreaux (CNB), instance représentative des 70 000 avocats français, a publié un communiqué en faveur d’« un droit d’asile immédiat et entier », notamment pour les représentants de la communauté judiciaire. Dans un courrier à l’Élysée daté du 15 août, l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM) ont enjoint au président de la République de tout mettre en œuvre pour que les femmes magistrates afghanes puissent « rejoindre au plus vite l’Union européenne », au nom du droit d’asile.